Statuts de la Confrérie de 1859
ORIGINES
Avant d’étudier l’histoire de la confrérie de Lumiu, il nous paraît indispensable de repositionner les confréries corses dans leur matrice, qui est le mouvement confraternel associé au culte des reliques ainsi que les pèlerinages, qui atteint son apogée au XIème siècle, et de donner quelques explications plus générales sur la naissance des confréries en occident.
Au sens propre "confrérie " signifie " rassembler " des êtres par un lien fraternel (Philippet, 2004). L’initiative de la création de confrérie revient à un petit noyau de fidèles, encouragés par une autorité ecclésiastique ou par un groupe de professionnels (dans le cas des confréries de métiers). Cela répondait au besoin vital d’entraide qui animait la société médiévale.
Les confréries en occident naissent à la fin du XIème siècle prenant pour modèle les associations de l’Eglise d’Orient qui, dès le IVème siècle, s’occupaient de faire soigner leurs membres et d’en organiser les funérailles, et dans les fraternités de prière des couvents d’Europe occidentale, mis en place dès le VIème siècle (Philippet, 2004). Elles sont rattachées à un chapitre, à un couvent (en particulier ceux des ordres mendiants) à une paroisse ou à un hôpital. Organisées de façon très précise, elles sont dirigées par un prieur et régies par des statuts. Certaines sont liées à un métier ou à un groupe social, d’autres se consacrent à une dévotion particulière ; toutes se caractérisent par une forte solidarité.
C’est Innocent III (1198-1216) qui constitue la première " confraternitas ", dont le modèle se généralise chez les laïcs. En effet, malgré la bonne volonté du grand nombre, tous ne peuvent devenir oblats, familiers du monastère, ou convers. La plupart des laïcs restent engagés dans les liens du mariage qui est leur privilège, renforcé avec la réforme grégorienne, et vivent de leur travail. Mais ceci leur laisse assez de liberté pour participer à une confrérie (Chélini, 1991).
Les confréries se réunissent régulièrement. Après une prière collective, l’assemblée se préoccupe du sort des membres de la communauté, c’est une véritable société de secours mutuel, pour leurs membres dans le besoin et plus généralement pour les déshérités. Les malades sont visités et aidés (la confrérie fonctionne comme une assurance sociale), certaines confréries gèrent d’ailleurs des hôpitaux. Pour les décès, toute la confrérie s’assemble afin d’assister à la cérémonie funèbre et payer l’enterrement. Le grand moment est évidemment la fête du saint patron. Elle se prépare plusieurs mois à l’avance et mobilise tous les membres. Tout est soigneusement programmé : l’heure des offices, la grand messe, les vêpres, l’habit, l’organisation de la procession et même le nombre de cierges pour le luminaire de l’église (L’éducation religieuse au moyen âge, 2004). Les confréries jouent aussi un rôle culturel important dans le développement du théâtre populaire avec l’organisation des représentations pour les fêtes du calendrier chrétien (nativité, passion…) (Chélini, 1991). A la fin du Moyen Age, les confréries pénètrent jusque dans les couches sociales inférieures et saisissent dans leurs mailles des foules énormes.
C’est très solennellement, le jour de la Fête-Dieu de l’an 1574, dans la dynamique insufflée par le concile de Trente (dont les travaux se clôturent le 4 décembre 1563) que d’importantes festivités inaugurent la fondation ou refondation des confréries (Casta, 1981).
Le concile de Trente (1545-1563) où furent présents les évêques d’Accia, d’Ajaccio et d’Aléria aura pour effet de revivifier et d’approfondir les sentiments religieux en orientant la piété populaire vers des dévotions plus tournées vers le Christ et la Vierge médiatrice.
C’est ainsi qu’à côté ou à la place des anciennes confréries médiévales patronnées par un ou plusieurs saints, se créent des confréries du Saint-Sacrement et du Rosaire qui connaissent un grand succès (Venard, 2000). Une autre réforme inscrite dans un " mémoire sur quelques abus à corriger dans l’église " rédigé à Trente le 29 janvier 1562 par l’archevêque de Raguse Ludovico Beccadelli, est décidée: " [7] de même, on doit prendre garde que sous prétexte de privilèges ou de traditions, le chapitre, les confréries, etc., ne s’exemptent de l’ordinaire, mais que sous sa [ ?] conduite, ils accomplissent ce qui doit être fait " (Taillon, 2000). Des nonces et des visiteurs apostoliques, sont envoyés en mission pour expliquer ces décisions et pour renforcer l’encadrement des laïcs qui doit se faire sur un modèle uniforme fourni par les confréries romaines. Partout on adopte leurs règlements et leurs exercices de piété (Taillon, 2000), car il est vrai qu’en Corse à l’occasion de leurs visites pastorales, les évêques du XVIème et XVIIème siècles ne cessent de déplorer l’ignorance profonde de la doctrine et de l’éthique chrétiennes des populations rurales de ce temps et de relever les survivances tenaces d’un paganisme à peine revêtu des apparences chrétiennes (Cervoni, Monti, Pieretti 1996). Ainsi naissent, dans la seconde moitié du XVIème siècle les compagnies réformées. Durant deux siècles rien ne viendra modifier les statuts des confréries qui atteindront leur âge d’or au milieu du XVIIème siècle, environ vers 1640. Après l’annexion française, les autorités civiles prirent des mesures (édit royal du 4 août 1781, arrêt du conseil supérieur de 1784) visant à circonscrire l’action des confréries (Ravis Giordani, 2004). Au XVIIIème siècle, chaque commune de Corse possédait au moins une confrérie. A la veille de la Révolution Française, la Corse comptait 200 confréries pour 271 paroisses (Ravis Giordani, 2004).
Supprimées par une loi du 18 août 1792, la plupart des confréries se maintinrent sans solution de continuité et réapparurent après le Concordat signé le 15 juillet 1801. Tolérées sous l’Empire plusieurs se reconstituèrent à la Restauration (Ravis Giordani, 2004). De la fin du XIXème au début du XXème siècle, les compagnies sont florissantes, mais après les deux conflits mondiaux, nombre d’entre elles disparaissent. C’est le cas de notre confrérie St Antoine qui décline petit à petit à partir des années 1950 et jusqu’en 1975.
La confrérie de Saint Antoine Abbé
L’idéal des fervents chrétiens des premiers siècles avait été de donner leur vie dans les supplices du martyre, mais depuis la paix de Constantin en 313 cet espoir n’était plus d’actualité. Dans l’Empire romain décadent et affaibli du IVème siècle, les chrétiens, qui n’avaient plus désormais à verser leur sang, se trouvaient tout à coup investis d’une honorabilité et d’une aisance qui risquaient d’engendrer chez eux la tiédeur et la médiocrité. C’est dans ce contexte que, tout au sud de l’Empire, quelques Egyptiens, désireux de mener une vie conforme à l’esprit et aux exigences radicales de l’Evangile, se décidèrent à quitter les villes et les bourgs pour se retirer au désert.
Le mot grec " monachos " existait déjà pour désigner les solitaires, mais la tradition fait de Saint Antoine le Grand ou Abbé (251-356) le premier, et en tout cas le plus célèbre, de ces ermites du début du IVème siècle. Il se retira au désert, où il partagea son temps entre la prière et le travail, et fut assailli par les fameuses tentations auxquelles il sut résister. Saint Antoine est particulièrement célèbre par ses combats contre les démons.
La réputation de Saint Antoine s’est répandue, déjà de son vivant, dans tout l’Empire romain et jusqu’en Mésopotamie. C’est là, à Nisibie, que le poète et musicien Saint Ephrem a chanté, dans ses " Carmina Nisibena " la bonté, l’affabilité du " père des moines ", en expliquant que " l’intimité de son contact avec Dieu le rendait toujours plus condescendant et délicat avec les hommes ".
Tous les moines du monde chrétien, qu’ils soient solitaires ou cénobites, reconnaissent Saint Antoine comme leur ancêtre, leur modèle et leur patron, particulièrement dans l’Eglise d’Orient.
Comment la dévotion à Saint Antoine s’est-elle développée à Lumiu et pour quelles raisons ? Plusieurs hypothèses s’offrent à nous :
Lors de sa visite épiscopale de 1589 Monseigneur Mascardi écrit : " Lumio : église Saint Pierre, 364 âmes, 50 écus de revenus, oratoires de l’Annonciation et de Saint Antoine ".
L’oratoriu Sant’Antone devient la casazza après la construction entre 1800 et 1825 de Santa Maria, il devait cependant exister depuis la fondation du village, au XVème siècle, ou même antérieurement et on peut penser que le culte de Saint Antoine s’est répandu dans toute l’île entre le Vème et le Xème siècle (Moracchini-Mazel, 2005). Pour G. Moracchini-Mazel les oratoires dédiés à Saint Antoine et Saint Léonard se positionnaient sur les voies de passage avant un col, un gué ou un pont, à l’époque préromane (Moracchini-Mazel, 1967).La situation de Lumiu entre les cols de Bracaghju, Fuata et Forcolina renforce cette hypothèse.
Les oratoires naissent comme lieux de culte des confréries et à partir du XVIIème siècle ont une importance toujours plus grande, donnant l’identité à l’association religieuse qui avait choisi un lieu " privé " pour se réunir et prier. Leur construction succède généralement au développement de la confrérie, qui après une première phase de dévotion auprès d’un autel ou à l’intérieur d’une chapelle de l’église d’origine, faisait élever un édifice séparé comme lieu privilégié pour les réunions et les célébrations (Sinigallia, 2004). Il nous est donc permis de penser qu’une confrérie Saint Antoine existait déjà lors de la venue de Monseigneur Mascardi, évêque de Mariana.
L'Ordre des Antonins, Ordre hospitalier fondé au XIème siècle, appelé en Corse Sant'Antone di l'alloghju, avait comme action l'hébergement des vagabonds et soignait le " mal des ardents " maladie mystérieuse pour l’époque (l’ergotisme gangréneux consécutif à la consommation de seigle attaqué par le champignon (claviceps purpurea) dit ergo du seigle, identifié au IXème siècle, elle fut appelée " ignis sacer " (feu sacré). A l'origine, pour entretenir leurs commanderies et hôpitaux, les Antonins faisaient l'élevage de porcs. Le cochon de Saint Antoine joue le même rôle que le chien de Saint Roch apporter le réconfort à son propriétaire atteint d'une maladie de la peau, le zona, appelé en Corse " U foccu di Sant'Antone ", maladie confondue avec le " mal des ardents " après son éradication. Retrouver ces deux vocables à Lumiu ramène aux épidémies de peste subies par la Corse dans l’antiquité, en 1348 et en particulier celle de 1528-1529 à Calvi qui se conjugua avec une razzia barbaresque (Graziani, 1993). L'église de Sant'Antone et l'ancien édifice dédié à San Roccu (San Roccu est le nom d’une des sections du cadastre de 1852 où se trouve un pagliaghju qui possède de belles pierres de réemploi dont deux sont marquées d’une croix, sûrement récupérées dans les ruines d’une ancienne chapelle.) correspondent-ils à un besoin de protection contre la maladie ?
Au XVème siècle en Corse, les couvents de moines hospitaliers étaient actifs. L'un d'entre eux, situé au col de Saint-Antoine de Casabianca dans la région d’Ampugnani, aujourd'hui en ruine, offrait l'hospitalité à ceux qui venaient la demander. On peut imaginer la construction d'un petit établissement érémitique dans les environs du plateau di a Sarra (commune de Lavatoghju), importante voie de transhumance, un oratoire voué au père des moines et protecteur des voyageurs au Moyen Age. Aucun indice, dans l’état actuel de nos recherches, ne nous permet d’attester une présence monastique à Lumiu, mais une étude est engagée.
Sant'Antone était aussi le patron des éleveurs: le 17 janvier les troupeaux étaient bénis. Cette période correspond au sevrage des agneaux qui permet une pleine production du fromage et à la Tumbera. Sant'Antone est en plus associé à une richesse agricole de la Balagne: les oranges.
1. Lumiu avec ses pâturages côtiers et ses cultures délicates a pu se choisir un saint voué aux deux activités économiques, un saint qui permet malgré leurs différences parfois violentes d'unir bergers et agriculteurs.
Les plus anciens documents, pour l’instant, que nous ayons en notre possession sont les statuts et les livres de compte della " Confraternita del S.S Sacramento eretta sotto gli auspicii di S. Antonio Abbate della parocchia di Lummio ", datant de 1859, que nous nous proposons d’étudier dans la suite de notre article.
ETUDE DES STATUTS (1859)
L'étude qui suit porte sur les archives détenues à la Confrérie de LUMIU, comportant quatre cahiers manuscrits :
- un registre des statuts de 1859 ;
- un cahier relatant le montant de la caisse lors des changements de Bureau (1873 -1952) ;
- un registre de comptabilité de 1953 à 1975 ;
- un cahier des amendes et des radiations des Confrères (1876 - 1952).
La période pendant laquelle les statuts furent élaborés s'inscrit dans un contexte de développement économique et social dû :
- à l'accroissement important de la population de la Corse qui passe de 185 000 habitants en 1820 à 255 000 en 1860 et concernant LUMIU de 747 habitants en 1818 à 1012 en 1861 ;
- à l'augmentation des terres cultivées et la progression des cultures arbustives (oliviers, châtaigniers, vignes, amandiers).
Plus de la moitié des hommes du village sont employés comme journaliers par les deux grands propriétaires terriens. La plupart des habitants de LUMIU ont un jardin, une vigne, des amandiers et oliviers, et élèvent de la volaille et des porcs dont ils tirent des revenus complémentaires.
Mais cette embellie ne sera que provisoire car de la fin du dix-neuvième siècle au milieu du vingtième siècle, l'économie insulaire recule (saignée de la première guerre mondiale : plus de 10 000 morts dans l'île dont 23 à LUMIU - émigration vers le Continent et les Colonies).
Dans cette deuxième moitié du dix-neuvième siècle, la pratique religieuse est importante ce qui explique la réapparition de très nombreuses confréries.
Le registre des statuts
Il relate les nouveaux statuts de la Confrérie, rédigés en 1859 en langue italienne, remplaçant d'autres plus anciens que nous n'avons pas retrouvés.
Il comporte également des articles additionnels, annulant ou complétant ces statuts qui sont calqués sur un schéma de statut type que chaque confrérie pouvait adapter selon ses désirs.
Son appellation de Confrérie du Très Saint Sacrement a gardé le nom de l'ancienne Confrérie dont on connaît l'existence, sans document à l'appui, remontant au Concile de Trente avec des interruptions plus ou moins longues (notamment celle résultant de la Loi du 18 août 1792 votée par l'Assemblée Législative et interdisant les confréries). Son nom, le Très Saint Sacrement, indique que c'est une Confrérie de dévotion, où la piété, le culte et la pratique eucharistique tiennent une place importante. Elle succède à la Confrérie "Corpus Domini" et se rapproche de celle des Pénitents. La Confrérie de Lumio est sous la protection de Saint Antoine Abbé comme de nombreuses confréries balanines. On notera que le 18 juin 1882, lors d'une révision des statuts, on ne parle plus du Très Saint Sacrement. Seule la dénomination de Confrérie de Saint Antoine Abbé de Lumio subsistera.
Le siège de la Confrérie, la "Casazza", est celui de l'ancienne église de Lumio jouxtant la nouvelle église construite en 1808 et achevée en 1818. Comme toutes les confréries de cette époque, elle jouit de tous les privilèges et indulgences attachés à l'Archiconfrérie de Rome.
Les statuts de 1859 sont répartis en trente et un articles qui règlent son fonctionnement ainsi que les devoirs et droits des Confrères. Ces statuts seront relus chaque année, le premier dimanche de janvier pour rappeler à ses membres leurs obligations.
1) Conditions d'admission :
Les fidèles des deux sexes pourront être admis aux conditions suivantes:
- être âgé d'au moins quatorze ans,
- jouir d'une bonne et honnête réputation,
- répandre la bonne parole de Jésus-Christ,
- payer la cotisation d'entrée dont le montant est différent selon l'âge et la provenance (quelqu'un "d'étranger" au village paiera cinq fois plus cher).
Il est à noter que les consoeurs, bien que cotisant, ne peuvent ni voter, ni porter l'habit, ni occuper un poste à responsabilité. Par contre, elles ont les mêmes privilèges, à leur décès, que leurs collègues masculins. Dès l'admission du nouveau confrère, le Prieur lui accorde un mois de noviciat et l'oblige à acquérir la "cappa" (aube) afin d'assister aux cérémonies.
2) Election des officiers :
Pour assurer la bonne gestion de la Confrérie, il y aura :
- un Prieur,
- un sous-Prieur,
- deux conseillers,
- deux "Massari",
- deux collecteurs,
- un trésorier.
Tous ces responsables seront renouvelés deux fois par an (les premiers dimanches de février et d'août) mais pourront aussi être confirmés parfois pour un an.
* Le Prieur convoque les Confrères, préside les assemblées et élabore toutes propositions concernant les intérêts de la Confrérie. Il donne au trésorier l'autorisation de payer toutes les dépenses nécessaires mais demande l'autorisation au Conseil pour les dépenses extraordinaires. Il inscrit sur un cahier les entrées et sorties d'argent, afin de les confronter avec le registre du Trésorier le jour du compte-rendu financier. Si le Prieur décède pendant son mandat, son siège sera revêtu de noir jusqu'à l'élection d'un nouveau prieur.
* Le sous-Prieur remplace le Prieur en cas de décès ou d'empêchement de ce dernier. C'est lui qui lira la liste des absents aux Offices Sacrés.
* Les Conseillers donnent leur avis, en accord avec le curé « pro tempore » (du moment) en cas de litige.
* Les deux "Massari" (sacristains) dirigent les processions, s'occupent de l'entretien et de la garde des objets sacrés. Ils sonnent pour réunir les Confrères, prévoient les cierges nécessaires à la célébration des offices, notamment les cierges rouges lors du décès d'un membre de la Confrérie.
* Les Collecteurs perçoivent la cotisation annuelle des Confrères et Consoeurs, ainsi que le sou donné par chaque membre à la mort de l'un d'eux. Ils notent leurs recettes sur un registre.
* Le Trésorier ou Caissier est dépositaire des fonds de la Confrérie qu'il enferme dans une caisse à trois clefs (le Prieur et le curé de la paroisse détenant les deux autres clefs). Il inscrit recettes et dépenses sur un registre. Quinze jours après la nouvelle élection des officiers, aura lieu la vérification des comptes sous la présidence du curé assisté par les nouveaux élus et un procès-verbal sera porté sur le registre des comptes.
3) Devoirs des Confrères :
En premier lieu, les Confrères devront fréquenter, c'est un devoir sacré, l'office divin chaque jour de fête et se rapprocher du Sacrement de la Pénitence et de la "Sainte Communion" au moins trois fois par an. C'est à dire à Pâques, à la fête du Très Saint Sacrement et à la fête de Saint Antoine Abbé. Car il ne faut pas oublier que l'Eglise étant la Maison de Dieu, on doit donner à ce lieu honneur et respect. Au cours de l'année, certaines fêtes sont marquées par des processions solennelles avec obligation d'y assister : le Corpus Domini (Fête-Dieu), la Saint Antoine Abbé (17 janvier), le Saint Rosaire de la Vierge Marie et le troisième dimanche de chaque mois après la messe paroissiale pour la procession du Saint Sacrement. L'absence à ces cérémonies, sans raison valable devra être justifiée devant le Prieur, en présence de tous les Confrères. Seul, le Prieur jugera de la légitimité de l’excuse.
Les insignes de la Confrérie (bannière, bâtons, lanternes) seront portés au cours des processions et des enterrements par les nouveaux Confrères.
Mais le grand devoir du Confrère est de prier et d'aider lors du décès d'un Confrère ou d'une Consoeur. Pour cette circonstance, le glas est sonné par les "Massari" ; tous les Confrères se réunissent et prient pour son repos en récitant un Pater, un Ave et un Requiem. Si le décès survient dans la journée, ils vont le soir au domicile du défunt afin d'y réciter l'Office des Morts et s'il survient la nuit, la famille donnera un coup de cloche "alla lunga" afin que les Confrères sachent que l'enterrement aura lieu le matin suivant. Le Prieur s'informera si le défunt était à jour de ses cotisations et dans le cas contraire ses héritiers devront s'en acquitter. Tous les Confrères devront être présents au service funèbre du défunt. Celui qui ne sait pas lire devra réciter une partie du chapelet.
4) Droits des Confrères :
L'esprit qui anime la Confrérie gomme les différences sociales. Il existe une solidarité entre chaque membre et tout Confrère dont la vie est exemplaire, même le plus pauvre peut accéder au poste de Prieur. Tout Confrère sait qu'à sa mort, riche ou pauvre, il aura droit à de dignes obsèques, entouré de tous les autres membres, à des messes célébrées pour le repos de son âme (le jour de l'enterrement, le septième jour après la mort et quatre messes au cours de l'année) à huit livres de cire rouge le tout payé sur les fonds de la Confrérie.
Quant au Prieur, lors de son décès, il aura droit à seize livres de cire rouge et à une messe solennelle le dimanche suivant son enterrement avec obligation à tous les Confrères d'y assister. Les Confrères aident le mourant, la famille, en prenant en charge les obsèques (cierges, linceul, frais de messe, location du corbillard ou cabriolet) grâce aux cotisations et amendes.
5) Cotisations et amendes :
S’il est angoissant de mourir pour un confrère, il en est de même pour ses pairs survivants, car ils sont taxés sur chaque manquement aux statuts dont voici quelques exemples. Outre la cotisation annuelle "tassa" de vingt sous chaque confrère à la mort de l’un d’eux devra verser un sou (i soldo dei morti). Seuls les prêtres inscrits à la Confrérie du Très Saint Sacrement sont dispensés de payer ces deux taxes ; mais ils devront célébrer gratuitement une messe de Requiem le huitième jour après la mort du défunt. Une amende de quatre sous est exigée s’ils sont absents aux services funèbres, aux fêtes solennelles et aux élections des officiers. L’oubli du port de la "cappa", la désobéissance ou les reproches envers le Prieur lors des assemblées seront passibles d’une amende de dix sous. De même, les Confrères qui restent sur la place de l'Eglise pendant le temps des offices se verront eux aussi infliger une taxe de quatre sous.
Au terme des trente et un articles des statuts, le 25 janvier 1859, l'Evêque d'Ajaccio les ayant trouvés conformes à l'esprit de l'Eglise donne approbation et aide à cette nouvelle Confrérie du Très Saint Sacrement.
Mais, le 17 février 1861, deux ans après l'approbation des statuts, un conflit entre le curé du moment et le Bureau de la Confrérie fait l'objet d'un paraphe sur le registre. Il y est stipulé que les membres du Bureau, jugeant arbitraires et illégaux les ajouts aux articles 17, 18, 25 et 29 des statuts (car la cotisation officielle de 12 sous est rayée et passée à 20 sous) et la suppression de certaines phrases (articles 25 et 29 : « … verso la confraternita, ed allora autorizera i Massari a rimettere alla famiglia del defonto otto libro di cera rossa (peso di francia) per esser fabbricata per i di lui funerale »), décident de revenir aux statuts de 1859. Ce conflit dut être sérieux pour avoir été porté sur le registre officiel.
En 1866, on note trois articles additionnels aux statuts. Le premier concerne la procédure relative à l'élection des officiers omise dans les trente et un articles de 1859. Ceux-ci seront élus par les officiers sortants assistés du curé "pro tempore" et de deux membres les plus âgés. Le deuxième additif stipule qu'un procès verbal doit être consigné sur un livre à part et contresigné par les électeurs. Ce procès verbal sera lu et approuvé par le curé du moment sous peine de nullité. Le troisième article mentionne, par esprit de paix et de concorde, la réintégration des membres radiés de la Confrérie sous condition de régler les taxes et amendes dues.
Trois articles additionnels du 18 juin 1882 (rédigés en français et approuvés par l'Evêque) mentionnent que l'argent perçu à la mort d'un Confrère soit uniquement employé à célébrer des messes pour le repos de son âme (mais à quel usage était-il destiné auparavant ?). D'autre part, un Confrère, lors de son décès, aura droit à :
- un cercueil ou à trois "planches" ou à trois francs
- trois kilos de cire blanche confectionnée (correspondant à dix cierges et dix paires de chandelles) ou à huit francs.
Le 10 avril 1886, une décision du Prieur (paraphée par l'évêque d'Ajaccio) fait mention du port obligatoire de la "manteletta" en plus de la "cappa" lors des cérémonies officielles.
En 1902, le nombre de Confrères devait être important car le Prieur divise la Confrérie en quatre sections, chacune assurant l'accompagnement des défunts à tour de rôle, ce qui permet de combattre l'absentéisme (qui est taxé lourdement) et permettre aux autres (la plupart sont journaliers) de continuer à travailler. Ceci est attesté par quatre articles additionnels (en italien) en date du 30 novembre 1902 et approuvés par l'Evêque.
D'autres articles additionnels datant de 1903 et rédigés en français abrogent la taxe due pour le sociétaire défunt et augmentent la cotisation annuelle.
En décembre 1921, devant la cherté de la vie, la cotisation est augmentée mais surtout, le Confrère empêché peut se faire remplacer aux cérémonies sans être taxé (article du 11 décembre 1921).
En 1928 et 1940 les Assemblées de Confrères décident (devant l'augmentation du prix des matières premières - planches, cierges -) de relever les cotisations et le prix de l'accompagnement des défunts.
De 1859 (date de l'élection du premier Prieur) jusqu'en 1873, le nom des officiers élus est porté sur le registre officiel des statuts ; mais un rappel à l'ordre de l'évêché d'Ajaccio notifie à la Confrérie que seuls les articles additionnels modifiant les statuts originels ont le droit d'être portés sur ce registre.
Le cahier de caisse
Donc, à dater de 1873, un autre cahier est utilisé pour noter les procès verbaux des changements d'officiers et le solde de trésorerie du mandat du Prieur sortant. Les changements d'officiers de 1859 à 1915 ont lieu tous les six mois (les premiers dimanche de janvier et d'août) puis, à partir de 1915, ils seront annuels pour aboutir en 1956 à des mandats de plus en plus longs.
Sur ce cahier est porté également le lieu de réunion du Bureau sortant et entrant : souvent au presbytère du curé « pro tempore » (l'abbé FERRANDI de 1873 à 1891) ou à l'oratoire Saint Antoine ou même à la sacristie de l'église. En 1894, les réunions ont lieu à nouveau au presbytère en la présence du curé GRISONI.
De 1859 à 1956, cent deux prieurs sont répertoriés (avec le même prieur de 1956 à 1975) et à partir de 1903, les procès verbaux sont rédigés en langue française.
L'année 1914 est marquée par l'absence de réunion ; sans doute est-ce dû au départ d'un grand nombre de Confrères pour le front.
Le registre de comptabilité
L'étude de la Trésorerie de la Confrérie révèle un solde toujours positif et croissant (181 francs en 1873 à 1 061 francs en 1883 et 90 200 francs en 1957), ce qui peut être expliqué par un afflux plus important d'adhérents. L'absence de documents comptables ne permet pas d'avancer d'explications plus précises. Le registre de comptabilité ne couvre que la période 1953 - 1975. Sa tenue en est très simple, ne comportant que deux rubriques :
- les entrées (c'est à dire les recettes),
- les sorties (c'est à dire les dépenses).
Les entrées étaient constituées par :
- les cotisations des Confrères et Consoeurs « tassa »,
- les quêtes effectuées lors des fêtes de la Confrérie :
* messe de Saint Antoine,
* le Vendredi Saint (Office des Morts),
* quête du soir lors de la fête du Très Saint Sacrement,
* la contribution volontaire lors de la distribution des oranges bénies (ces oranges étaient le plus souvent offertes par les gens du village mais quelques fois ont dû être achetées),
* les dons personnels.
Les sorties comprenaient :
- les messes payées au curé à l'occasion des enterrements des Confrères et des fêtes de la Confrérie,
- les messes des adhérents défunts pour les sorties de deuil,
- les bénédictions (des oranges) payées aux curés,
- l'achat des cierges pour les différentes cérémonies et enterrements,
- la location du cabriolet - corbillard,
- achat du cercueil (pour les indigents) ou de planches,
- achat d'oranges (certaines années la Confrérie a dû en acheter faute de dons),
- dons aux familles de Confrères défunts lorsque ces derniers décédaient loin de LUMIO (ainsi on relève une dépense de 7 800 francs de 1958 à l'occasion du décès d'un Confrère),
- la remise en état du cabriolet - corbillard (en 1958 et 1964),
- en 1970, la Confrérie fit don de douze chaises à l'église (40 francs la chaise),
- les travaux et entretien du bâtiment de la Confrérie (en 1973 : changement de la porte d'entrée et réparation de la porte latérale - 1974-75 : travaux d'électricité, maçonnerie, peinture et vernissage).
Nous avons là un aperçu grossier de la vie économique de la Confrérie avec des lacunes, des imprécisions voire une absence totale de documents concernant les années 1955, 1962 et 1965. Néanmoins, nous avons essayé de calculer le nombre d'adhérents (dont il n'existe aucune liste) de façon approximative, à partir du produit des cotisations, signalons qu'à partir de 1970 il n'y a plus de cotisation et quelques dons seulement entre 1971 et 1975.
Nombre de confrères 1953 - 1969 (calculé d'après les cotisations)