dimanche 25 janvier 2009

L'EPERON DU MONTE ORTU - par Michel Claude Weiss

A deux pas du village de Lumio, l'éperon du Monte Ortu semble avoir retenu l'attention des groupes néolithiques et surtout de l'Age du Bronze pour des raisons essentiellement défensives. La raideur de ses flancs ainsi que la mise en place d'une enceinte de gros voire très gros blocs paraissent le démontrer. L'éperon allongé, qui culmine à 213 m, domine le golfe et l'arrière-pays de Calvi. C'est un élément typique du paysage balanin.

La zone nord du sommet de l'éperon rassemble neuf terrasses situées au milieu de rochers granitiques de taille imposante. Ces terrasses, dont la superficie est assez exiguë, semblent former une organisation naturelle en mesure de favoriser voire de provoquer un établissement humain. Même si elles se trouvent à des altitudes légèrement différentes, elles communiquent facilement entre elles; en fait, aucun de ces replats n'est isolé. Tout le flanc ouest du secteur habité porte une enceinte de gros blocs (quelques-uns ont une largeur nettement supérieure à 2 m), alignement d'éléments posés sur la roche en place granitique. Le tracé du mur est interrompu plusieurs fois, quelques blocs ayant pu dévaler la pente.

Après une campagne de sondages, en 1978, les fouilles relatives au Monte Ortu prirent place de 1981 à 1993, à raison d'un mois par an.

Ces travaux ont apporté indiscutablement un lot appréciable d'informations nouvelles et permis de conforter plusieurs idées dégagées à l'occasion d'autres études ou fouilles.

Tout d'abord, il faut souligner la complémentarité des deux replats exploités, les terrasses 4 et 8. Ces endroits ont pu être fréquentés au même moment (ainsi, le Bronze final est représenté dans les deux secteurs intéressés par des séquences importantes), mais il est non moins évident que les aménagements médiévaux, centrés sur le XVe siècle de notre ère, concernent seulement le replat supérieur, ce qui est le cas également du Bronze ancien voire du Bronze moyen. Pour ce qui est du Néolithique, il est plus difficile de se prononcer car la base du remplissage de la terrasse 4 n'a pas été totalement décapée.

Ensuite, le nombre de sols organisés découverts, sols entiers ou pratiquement entiers, est tout à fait important. Pour une période allant du Néolithique au Moyen Age, nous avons désormais la possibilité de reconstituer l'évolution de l'habitat local de façon acceptable et de proposer à tout le moins des restitutions graphiques. En effet, parmi les documents remarquables mis au jour lors des diverses campagnes de fouilles, on mentionnera les deux cabanes des terrasses 4 et 8. L'habitation du Bronze ancien du premier replat utilise largement les appuis rocheux naturels du lieu. Un beau foyer appareillé, un sol dallé et une entrée sous roche sont les caractères essentiels de cette cabane au toit à une pente. Quant à la structure d'habitat de la terrasse 8, elle annonce des formes modernes de construction : superficie notable, deux pièces complémentaires, toit à double pente et cloisons en torchis. Par ailleurs, contrairement à celle du Bronze ancien, elle évite soigneusement les forts appuis rocheux, sans doute pour des raisons de ruissellement. Cette conception nouvelle trouve peut-être une explication dans le fait que la station balanine a subi l'influence d'un courant italique, en l'occurrence subapenninique.

Si plusieurs niveaux révèlent d'indiscutables habitats, il en est quelques-uns, sur la terrasse 8, qui peuvent correspondre à des lieux spécialisés dans certaines activités liées à la cuisson.

Un fait mérite un court commentaire: l'utilisation et la régularisation de plusieurs masses rocheuses du site, soit pour faciliter le passage entre deux replats (par exemple entre les
terrasses 6 et 8), soit pour installer une habitation. C'est d'ailleurs l'un des caractères de l'habitation ancienne ou traditionnelle de la Corse.

Seul l'Age du Bronze final paraît avoir intéressé l'ensemble du site; à ce moment-là devait exister au Monte Ortu un village bien organisé et défendu retenant une population conséquente. Cependant, il convient de ne pas oublier que l'occupation préhistorique s'étendait également au pied du secteur rocheux élevé étudié jusqu'à présent.

Le site révèle encore des sols d'occupation du Néolithique évolué ainsi que du Néolithique terminal, faisant écho aux découvertes du site voisin de A Fuata. Mais aussi, et de façon plus inattendue, des restes du Néolithique ancien, trouvés essentiellement à l'occasion de ramassages de surface effectués en contrebas du relief, dans une zone d'accès facile. La nature de cet emplacement est d'ailleurs tout à fait comparable à celle des autres installations balanines de cette phase.

Plusieurs stades d'évolution de la station ont pu être datés par la méthode du Carbone 14 :
-le Bronze ancien (1540 ± 100 RC. pour la couche ID du sondage 2 de la terrasse 4) ;
-le Bronze final (900 et 880 ± 60 B.C. pour la couche na de la terrasse 8) ;
-le Moyen Age (1420 ± 80 de notre ère pour la couche Th du sondage 2 de la terrasse 4).

Si l'on considère que les vestiges du Néolithique ancien remontent au sixième millénaire avant notre ère et que ceux du Néolithique évolué-terminal s'inscrivent à tout le moins dans le troisième millénaire, on se rend compte que ce gisement de la Balagne occidentale, de par le nombre de millénaires concernés mais aussi et surtout, nous l'avons vu, en raison de l'originalité et de l'importance de la documentation fournie, est l'un des points archéologiques les plus significatifs de toute l'île.

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